Nous sommes des voix anonymes de cette manifestation. Nous n’accepterons
pas que les mots prémâchés des médias nous volent la mémoire de
cette journée. Nous ne succomberons pas aux pressions et aux mensonges
de politiciens qui veulent juste nous diviser et rêvent de nous voir
disparaître. A nous d’écrire notre histoire. Voici une collecte de
récits et ressentis de cette journée. On vous appelle à les diffuser
et à faire de même.
La manifestation commence pour certain dès 7h du matin
par des convois de tracteurs qui arrivent par les voies rapides ou les
départementales.
Le cortège parti de Vannes compte 150 tracteurs, celui de Rennes pas
moins de 80. Ceux qui sont partis de là-bas invitent ceux qui les
croisent en sens inverse sur la 4 voies à écouter radio bouchon, une
radio pirate qui diffuse des émissions sur l’histoire des luttes
paysannes. Tous les paysans ont mis la plaque d’immatriculation de Jean
marc Ayrault sur leur véhicule. Depuis la zad, pas mal de gens sont
partis avec les tracteurs. Dans les villages, au passage des convois, de
nombreux riverains sont sur le pas de leur porte et applaudissent.
Au final, 5 convois se rejoignent sur le périph’
nantais et viennent se positionner directement square Davier, au point
d’arrivée de la manifestation. On dénombre 520 tracteurs,
l’équivalent d’un cortège de 3,5km, on va dire 4 avec les remorques.
On peut lire sur pas mal d’entre eux "tracteurs vigilants", le signe
qu’ils sont prêt à venir sur la zad ou à entrer en action à coté de
chez eux en cas de besoin, pour empêcher des travaux, défendre les
champs et les maisons.
Une trentaine de tracteurs rejoint le Pont Morand point de départ de la
manifestation. Là-bas, dès 12h des cantines collectives accueillent
les comités locaux arrivés de partout dans une soixantaines de bus.
Pas mal de monde est logé chez des Nantais-e-s ou dans les villages
alentours. Dès la veille, le local de Vinci était déjà recouvert
d’une inscription et on voyait des personnes arpenter les rues de la
ville avec des sac à dos et panneaux pour la manifestation.
Vers 12h30 un groupe débarque en radeau fait main, le
long de l’Erdre, avec une banderole "résistance et sabordage". Tout au
long de leur dérive, ils disposent au milieu de l’eau des drapeaux
anti-aéroport sur flotteur. Pendant ce temps, quelqu’un fabrique une
cabane dans un arbre à 30 mètres de la Préfecture, rappelant celles
qui ont marqué la résistance dans la forêt de Rohanne en novembre
2012, sur la zad.
Depuis la veille, la préfecture met en place des
grilles anti-émeutes partout autour du centre-ville, qu’elle a choisit,
au dernier moment, de rendre inaccessible aux anti-aéroports. Une
prise de parole initiale annonce que même si le Préfet a l’air d’avoir
peur de nous, « ça ne va pas nous empêcher de manifester ». Des
nantais nous témoignent qu’il leur est interdit de rentrer chez eux. Il
y a des contrôles un peu partout. Au coin d’une rue, une personne se
fait piquer la binette avec laquelle elle est venue défiler.
A 13h15, au début, on a peu peur : on a l’impression de
ne pas être aussi nombreux que prévu. Et puis assez vite, ça
converge de partout. Il y a un afflux massif. La manif se révèle
immense, avec pas mal de gens qui n’étaient
sûrement jamais venus montrer, dans la rue, leur refus de l’aéroport.
Jusqu’à 14h30, la queue de manif n’a pas fini de partir de Pont Morand
et la tête de manif est déjà au niveau des machines de l’île. Il y a
alors plus de 3km5 de manifestation continue sur des artère forts
larges. Pendant ce temps des tracteurs remontent par l’autre coté de la
zone rouge. Nous sommes des dizaines de milliers. C’est la plus grosse
mobilisation anti-aéroport à ce jour et personne à Nantes ne peut
ignorer sa présence dans la ville.
Depuis le début du cortège ont voit arriver des chars : une salamandre
jaune et noire de 15m se dandine tranquillement. Un tracto-triton
géant ronronne. De très nombreux masques d’animaux marquent le refus
de la destruction des espèces et des mesures dites de compensation. On
se délecte des centaines de panneaux faits main avec des slogans aussi
drôles qu’imaginatifs. Sur un mode plus mégalo, une banderole géante
est déployée depuis le haut des immeubles, d’un coté à l’autre de
l’avenue de Strasbourg en soutien à ceux qui se battent contre la
construction d’une ligne à grande vitesse dans le Val de Susa. Le 22
février est aussi une journée internationale de soutien aux personnes
accusées là-bas de terrorisme et qui risquent jusqu’à 20 ans de
prison pour s’être attaqués à un chantier. Au-delà de l’aéroport,
la manifestation se connecte très visiblement avec un tas d’autres
luttes contre l’aménagement marchand, sécuritaire et gestionnaire du
territoire.
Tout au long du défilé, pas mal de personnes s’emploient à donner une
autre couleur à la ville et à en marquer certains points
particuliers. Du marqueur à l’extincteur en passant par les œufs de
peinture, collages d’affiches et sprays. On découvre d’ingénieux
mécanismes pour reproduire à l’infini un pochoir "la police tape la
police tape la police tape la police tape la police tape la police...".
La mairie, un tribunal, un commissariat, des caméras de
vidéosurveillance, les grilles anti-émeute et les flics derrières
sont redécorés. Sur un mur repeint, il ne reste bientôt plus que la
trace de leurs silhouettes en gris sur fond de blanc dégoulinant.
Sans surprise, le commerce Vinci immobilier, situé en début de
manifestation, focalise les énergies débordantes et ne survit pas au
passage d’autant de personnes qui tiennent à marquer leur animosité
vis à vis du projet d’aéroport. Au fil du défilé, l’enseigne s’est
fait peindre, puis ouvrir, puis repeindre, puis casser, puis rerepeinte.
Les maquettes et mobiliers ont été déménagés. Il servira même à
la fin de la journée de décor pour photos souvenirs de manifestants en
famille avec panneaux et calicots.
Un peu plus loin, des personnes amorcent un fumigène
sur la voie ferrée pour avertir les trains de ne pas passer sur les
voies. Ils invitent ensuite ceux qui le souhaitent à lancer des
chaussures sur les caténaires. Cette action surprise désigne le rôle
de la Sncf dans la construction ligne à grande vitesse Lyon-turin dans
la val de Susa.
L’ambiance sonore évolue au fil de la manif. Un groupe
tout de rose vêtu forme une grande batukada "rythm of resistance",
réunissant des formations de divers endroit qui se cale sur des canevas
communs. Un peu plus loin, des rappeurs de la zad et d’ailleurs se
relaient sur un tracteur et mettent en mot cadencés une critique
sociale et des rages partagées.
Autour d’un isoloir ambulant plein de déguisements, une
sono marque des pauses sur le trajet et met en lien un certain nombre
d’enseignes avec l’aéroport et son monde. Elles mettent en regard le
tourisme, le renforcement des frontières et les expulsions, les
rapports nord-sud et invitent à venir faire des pochoirs.
Plus loin encore, une foreuse et une pelleteuse sont
incendiées. Des manifestant-e-s désapprouvent, mais on entend aussi
pas mal de "bien fait pour eux !", surtout quand certains comprennent
qu’il s’agit d’un chantier Vinci.
Il y a tellement de monde et tout est tellement tellement étalé qu’il est impossible de comprendre tout ce qui se passe.
Au niveau du croisement des trams, l’avant du cortège
constate que le cour des 50 otages est bel et bien bloqué par des
grilles anti-émeutes, ce qui, même selon les vieux militants nantais
les plus aguerris, n’est jamais arrivé. Au lieu de s’arrêter comme
prévu au square Daviais, la tête de cortège fait un pied de nez au
préfet. 2 tracteurs contournent rapidement quelques véhicules de
police et viennent se placer sur le pont Ododin. Quelques milliers de
personnes entament alors un trajet annexe sur l’île Beaulieu, un point
symbolique de la métropole et de la gentrification, avec ses
pépinières d’entreprises high-tech, ses artistes dociles et ses
grosses machines, son tribunal mégalo, le centre du FNAEG où sont
collectés les fichiers ADN. Cela n’a pas l’air d’amuser tellement plus
les autorités qu’on aille se balader là-bas et au bout d’un moment,
alors que le cortège se distend un peu la police referme le pont et
interdit le passage.
Pendant ce temps, cela s’agite du coté des grilles
anti-émeutes à Commerce qui sont ressenties par beaucoup comme un
affront. Même si le dispositif policier a l’air solide, on reste pour
marquer sa colère vis à vis de l’interdiction de manifester, de
l’entêtement du gouvernement et de ses menaces de revenir sur la zone
pour tout détruire, ou pour leur montrer qu’on peut être fort face à
eux. D’abord des personnes tapent à main nues sur les plaques de plexi
et grillage en se moquant des bleus derrière. Puis, dans un geste de
défi, des tracteurs vont se mettre face aux grilles. Ça s’emballe
petit à petit, des projectiles partent. En face, ça répond vivement -
avec des grenades assourdissantes, lacrymogène et tirs de flashballs
à gogo. Le préfet a l’air de vouloir donner une petite démonstration
expresse du bordel qu’il est venu mettre dans le bocage pendant
plusieurs mois avec l’opération César. Ses canons à eau s’évertuent,
en continu, à recréer une zone humide à l’intérieur même de la
ville. En face, une partie des manifestants ne se laissent pas
compenser, ni déplacer. Pendant plus de 2h des gens attaquent les
grilles, déterrent des pavés, lancent ce qui leur tombe sous la main.
Un tracteur s’amuse un moment à bloquer le jet du canon à eau. Un peu
plus tard, des grappins sont arrimés au grilles et des dizaines de
personnes tirent. En contrepoint aux explosions des grenades jetées par
la police, un feu d’artifice lancé par quelqu’un dans la foule, pour
la beauté du geste, illumine le ciel.
Tout autour, des milliers de manifestants restent là plutôt
tranquillement, sans forcément prendre part activement aux
affrontements mais sans s’affoler pour autant. Régulièrement, des
centaines de voix s’élèvent pour reprendre en chœur « Non à
l’aéroport ! » et accompagnent ceux qui courent sur les grilles.
Beaucoup discutent, commentent, boivent un coup, se retrouvent, rient ou
s’enthousiasment malgré les yeux humides de lacrymogènes.
Un bureau de contrôleurs de la TAN (transport de
l’agglomération nantaise) disposé entre deux voies de tram part en
flamme, un peu plus loin, la vitrine d’un magasin "nouvelle frontières"
tombe, et le commissariat à l’angle se fait repeindre, ouvrir et
retourner. Un appel est fait pour venir y faire la fête.
Les tracteurs resté pas loin des grilles ne sont pas
dans une situation évidente au beau milieu du chahut et se retirent
petit à petit.
Depuis 15H30, à 300 mètres de là et malgré les
détonations, des milliers d’autres personnes sont réunies plutôt
tranquillement autour des prises de parole qui débutent. Pas mal de
monde fait des allers et retours. Des paysans de COPAIN ont commencé à
creuser une mare sur le square pour concurrencer la Préfecture. Plus
loin en arrière, une partie de la manifestation stagner sans toujours
trop comprendre ce qui se passe.
Vers 18h, tout le monde se regroupe le temps d’une petite boum sur le square Davier. Il y a de la joie ! On passe de Paint it black
a du gros son techno et la foule danse tandis que les camions
grillagés et canons à eau avancent petit à petit au rythme des
charges de CRS, pour vider la place. Les tracteurs partent. Quelques
milliers de personnes s’attardent et défient encore un peu la police
qui mettra deux bonnes heures de plus à évacuer tout ce monde. Ils ne
font pas de cadeaux et les blessés graves s’additionnent : mâchoire
défoncée, nez retourné. L’un d’eux qui s’est pris une grenade en tir
tendu, perdra son œil le lendemain.
En échangeant avec les uns et les autres sur le chemin
du retour, il est clair que toutes les initiatives prises lors de cette
manifestation n’ont pas été consensuelles. Elles ont pu soulever des
malaises et débats autant qu’une enthousiasme débordant. Pour autant,
nous n’avons senti à aucun moment une foule paniquée et divisée, mais
bel et bien un mouvement commun, composite et solidaire rappelant la
façon dont des formes hétérogènes de résistances aux expulsions ont
pu cohabiter pleinement pendant une journée décisive comme le 24
novembre 2012 dans la forêt de Rohanne. Le soir même, ce qui ressort,
chez toutes celles et ceux qu’on croise, est la force donnée par
l’élan de la journée.
Pour le pouvoir, une manifestation telle que celle-ci,
dans toute sa diversité est absolument insupportable. Pas tant
peut-être pour les quelques vitrines endommagées et machines de
chantier ciblées, pour les agents de police contusionnés et barricades
édifiées que pour la masse de personnes que ça n’avait pas l’air
d’offusquer plus que ça sur le moment. Il est d’autant plus
intolérable pour les autorités que les organisateurs de la
manifestation refusent de tomber dans leur piège et constatent dans un
communiqué commun le soir même «
La préfecture avait choisit de mettre Nantes en état de siège et de
nous empêcher d’être visible dans le centre ville. C’est la première
fois qu’on interdit à une manifestation d’emprunter le Cours des 50
Otages. Une partie du cortège est passée par l’île Beaulieu. Une
autre a essayé de passer par le trajet initialement prévu et a fait
face à une répression policière violente avec tir de flashball, gaz
lacrymogènes et grenades assourdissantes. Cela n’a pas empêché les
manifestants de rester en masse dans les rues de Nantes jusqu’à la fin.
Il existe différentes manières de s’exprimer dans ce
mouvement. Le gouvernement est sourd à la contestation anti- aéroport,
il n’est pas étonnant qu’une certaine colère s’exprime. Que
pourrait-il se passer en cas de nouvelle intervention sur la zad ?
Cette journée est un succès et les différentes
composantes de la lutte restent unies sur le terrain. L’opposition ne
fait que croître depuis 30 ans. Le gouvernement n’a pas d’autre choix
que d’abandonner le projet d’aéroport ! ».
Dès le lendemain, le rouleau compresseur politique, le
préfet, Ayrault et Valls réunis tentent désespérément de diviser le
mouvement, d’en isoler une fraction et de la stigmatiser. Il s’agit de
désigner les occupant-e-s de la zad comme les gardiens d’un « camps
d’entraînement la guérilla urbaine » ou comme « un mouvement armé »
sur le thème du "kyste » maléfique à éradiquer... La recette est
classique : incapables d’accepter l’idée qu’une colère vis à vis de
la répression policière et des promoteurs de l’aéroport puisse se
diffuser, ils désignent de fantasmatiques groupes de black blocs
manipulateurs et étrangers, et envoient leurs experts vomir un monceau
de caricatures grossières sur le sujet que Libération et d’autres
reprennent sagement en les présentant comme des « enquêtes ». Ils ont
beau chercher à se donner des leviers pour revenir expulser et pouvoir
taper très fort sur certain-e-s pour tenter de faire peur à tous les
autres, comme dans le val de Susa. Ils savent pourtant bien que sur le
terrain et au-delà, la colère pourraient être plus forte et plus
partagée encore si ils s’entêtaient à lancer une seconde opération
« césar ».
Sans peur du ridicule, toute la presse en chœur, nous
parle de Nantes "dévasté". On s’attend à un champs de ruines à perte
d’horizon. En réalité les quelques transformations imposées au
mobilier urbain n’ont pas eu l’air d’empêcher les nantais-e-s de se
balader longtemps où que que ce soit. Si on doit vraiment parler de
« dévastation » et de « violence », peut-être pourraient ils dire
aussi quelques mots des maisons dévastées, des champs saccagés et des
dizaines de personnes gravement blessées par plus de 1200 policiers
sur la zad, pendant les 5 mois qu’a duré l’occupation policière.
Peut-être devrait-on rappeler que le Préfet vient de signer des
arrêtés de démarrage des travaux et prétend aujourd’hui revenir vite
et pour tout détruire définitivement. On nous demande aujourd’hui de
rejeter toute idée de violence et de nous désolidariser de ceux qui
brûlé leur machines, cassé leur vitrines, assailli leurs dispositifs.
Mais personne ici n’oublie que si nous nous étions contenté de nous
asseoir en travers de la route et de discuter quand ils ont débarqué
le 16 octobre 2012, il n’y aurait aujourd’hui plus personne pour parler
de la zad. Elle n’existerait sans doute déjà plus.
Les journalistes, fascinés par les "affrontements"
autant qu’il les rejettent, diffusent la peur, créent des catégories,
cherchent à dérober nos souvenirs. Cela peut paraître impressionnant,
mais c’est loin d’être la première fois dans l’histoire de ce
mouvement, et.cela ne l’a jamais empêché de rebondir et de se
renforcer. La chape de plomb qu’ils essaient de faire retomber sur cette
manifestation ne nous fera jamais oublier la vitalité de cette
journée, le ravissement de se sentir aussi nombreux-ses, les sourires
et la colère partagés. Quoi qu’ils en disent, cette manifestation
était un moment rare et précieux, une étape majeure dans cette lutte.
L’aéroport ne se fera pas !
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